L’odeur du café flotte dans la salle à manger. Des pancakes, du bacon et des œufs brouillés trônent au milieu de la table. La belle vaisselle en argent est sortie pour l’occasion. Forrest est installé à sa place habituelle, face à sa sœur, qui le dévisage d’un air circonspect. Pas loin, le petit frère sirote son jus d’orange avec appétit. En apparence, la scène ressemble à un petit-déjeuner familial classique. Seule l’ambiance manque à l’appel, car si les parents tentent de lancer la conversation depuis qu’ils sont tous réunis, les enfants, eux, se sont enfermés dans le mutisme. Ca fait plusieurs mois que l’incident est arrivé, que Forrest a perdu sa disposition, et pourtant, y’a rien qui n’a changé. On aurait pu penser que cette décision parviendrait à apaiser les cœurs, elle n’a fait qu’envenimer la situation. Face au long silence douloureux qui écorche la famille, la maman Hayward déclare que ce n’est pas une si mauvaise chose. Le plus difficile est passé, et chacun va pouvoir tourner la page de manière sereine. Naya est toujours fragile mais elle est vivante. Forrest n’a plus à s’inquiéter de sa disposition, il est libre de ses mouvements et de ses émotions. Ils pourront tous retourner à leurs petites occupations. Tout va bien.
« Tout va bien », qu’elle termine, alors que Forrest lève les yeux au ciel, furieux qu’on puisse penser une telle chose. Comment est-ce qu’on peut accepter un tel sort pour son enfant ? Comment est-ce qu’on peut imaginer enlever une partie aussi importante de sa vie sans que personne n’y voie un quelconque problème ? Evidemment, quand le malheur ne touche que les autres, il est plus facile d’en tourner le dos. Naya a ce sourire narquois sur les lèvres, ravie de le voir aussi impuissant, ravie de pouvoir lui infliger une telle punition, et ça le rend fou. Il y a cette part en lui qui aimerait pouvoir arranger les choses avec elle, mais elle n’est rien face à la rage qui ronge ses nerfs.
« Forrest ? » Sa mère l’interpelle, et ce n’est qu’après avoir levé les yeux vers elle qu’il réalise qu’il serrait si fort son couteau qu’il était sur le point de se blesser.
« J’ai besoin de prendre l’air. » Sa mère tente de l’arrêter mais Forrest est déjà sur le pas de la porte, sa petite sacoche sur le dos, prêt à s’échapper loin de cet enfer. Ces faux bons sentiments lui donnent envie de vomir, mais y’a-t-il vraiment une autre manière de réagir ? Seule Naya, toujours égale à elle-même, parvient à lui rappeler qu’il a vraiment merdé cette fois, et c’est peut-être de ça dont il a vraiment besoin : d’avoir mal. Il a cette envie folle et absurde de se faire frapper, fort, très fort, et tomber à terre, de tomber violemment du haut d’un balcon jusqu’à s’en casser les os. Peut-être qu’il n’y a que de cette manière qu’il parviendra à faire taire cette voix insupportable dans sa tête.
A défaut de tomber sur un groupe de mecs prêts à lui péter deux dents, Forrest se met à courir en espérant pouvoir se vider l’esprit. Il traverse la ville, reprend le chemin habituel, avec la volonté de s’épuiser jusqu’à en crever. Pas de fatigue qui soit pour les âmes en perdition. Ce n’est que lorsqu’il en a le souffle coupé et les poumons prêts à s’enflammer que l’homme prend une pause. Il souffle comme un bœuf, tente de retrouver un rythme cardiaque correct, les mains posées sur ses genoux. Quand l’air lui parait plus respirable, il relève finalement la tête, et tombe sur un banc à quelques mètres plus loin, déjà occupé. Son visage à l’expression lointaine, sa cigarette au coin des lèvres, Forrest reconnait
@Harper Harrington , apprêtée de sa tenue habituelle des rendez-vous sportifs d’autrefois. S’il n’était pas en colère contre elle, il aurait souri de voir comme certaines choses ne bougent pas chez eux. Et si c’était finalement elle, le poing dans sa gueule ? Forrest s’approche, les cheveux en vrac et la sueur encore dégoulinante.
« C’est pas avec cette tête de déterrée que tu vas convaincre Lewis de revenir, » qu’il lance, fier de sa mauvaise plaisanterie, qui volontairement, a l’amertume d’une pique mal placée. Elle a joué la diva en préférant le lâcher au pire moment de sa vie, elle va bien pouvoir se remettre d’une énième remarque sur son amoureux le fantôme. Sans qu’elle ne lui ait proposé de la rejoindre, il s’assoit près d’elle.
« Je sais que tu perds facilement la notion du temps mais quand est-ce que t'as prévu de me présenter tes excuses? » Il a bien assez attendu pour venir les réclamer de lui-même.