Il n’allait pas mentir : en entrant dans le bar bondé, Parker espérait secrètement repérer le regard de braise d’
@Angel Lynch, même s’il nierait de manière catégorique quiconque osait le sous-entendre. Quelle autre raison, pourtant, l’aurait poussé à pénétrer dans une lieu trop étroit pour contenir autant de monde alors qu’il savait —
il savait — que plus que la proximité des corps dansants, ce seraient les pensées qui l’oppresseraient. C’était comme si elles ricochaient sur les parois, crissaient d’un coin à l’autre, s’entrechoquaient violemment, au point où il ne savait plus discerner les vraies conversations de celles qui survolaient l’assemblée.
Et dire qu’il n’entendait pas le dixième de ce que Caleb percevait.
Pas étonnant que le garçon n’ait pas supporté cette disposition calamiteuse.
En attendant, il était bien là, cerné de tous côtés, son regard glissant sur les silhouettes, s’efforçant de repousser les vagues de voix, tout en essayant de ne pas paraître à l’affût, ce qui n’était pas gagné. À tout moment, le garçon sauvage pouvait se matérialiser à quelques mètres, l’incendier de ses yeux sombres, et rien que l’imaginer lui procura un plaisir coupable, électrisant. Une onde dans le ventre qui se propagea dans ses membres, fit tressauter son muscle cardiaque et frémir ses lèvres.
You’re such an idiot, gronda-t-il pour lui-même. Ne s’était-il pas promis de ne pas tomber dans ce piège ? D’opposer une résistance opiniâtre, parce qu’il savait parfaitement à quel genre de mec il avait affaire et qu’il n’avait pas envie d’être le dindon de la farce, une fois de plus ? Les hommes comme Angel prenaient ce qu’ils voulaient et continuaient leur route, ils passaient d’une conquête à l’autre, parce qu’ils le pouvaient, parce qu’ils étaient nés pour régner, dominer — et déserter. Quant à la catégorie dans laquelle Parker tombait, c’était celle des victimes potentielles, évidemment, séduites d’un sourire, assujetties à l’attraction, assez faibles pour développer des sentiments alors même que ça allait à l’encontre de tout bon sens. Il savait tout ça et ça ne l’avait pas empêché de se laisser consumer par l’intérêt que lui avait porté le jeune homme. Il s’était efforcé d’y opposer toutes les raisons de se méfier mais il fallait bien admettre que l’échec était cuisant. Pourquoi, sinon, serait-il planté au beau milieu d’une foule grouillante, assailli de tous côtés par les esprits enivrés, à autant espérer que redouter de retrouver le prédateur, refusant de concéder son désir honteux de redevenir la proie ?
Parker en était à ce stade de réflexion, bataillant ferme avec lui-même, lorsqu’il décela la présence d’
@Harper Harrington. Oubliant momentanément sa quête, la jeune demi-fée fronça les sourcils et ouvrit sa conscience à celle qui partageait ce lien contre lequel iels ne pouvaient rien.
Where are you ? lança-t-il comme un hameçon dans les remous d’une rivière, sans savoir s’il percevrait sa réponse dans ce brouhaha.
Il devina cependant les tags sur les parois des toilettes, le bois usé des portes, les néons qui se reflétaient dans les miroirs, et il crut même sentir l’odeur désagréable des lieux, ce qui lui fit retrousser le nez — cela ne présageait rien de bon. Maugréant mentalement, il se fraya un passage parmi les clients du bar, enleva ses dents de vampire, tira sur sa cape que quelqu’un accrocha, et se glissa dans l’étroit couloir qui menait au refuge de sa comparse de Cluster.
La porte grinça lorsqu’il la poussa pour passer la tête dans les toilettes et il s’assura que personne ne s’y trouvait avant d’entrer. Il se dirigea vers la cabine occupée, tenta d’en ouvrir le battant puis se résigna à attendre que la demoiselle veuille bien en sortir.
— Il est pas un peu tôt pour être dans cet état ? s’enquit-il, du ton blasé auquel il avait habitué la jeune femme.
Tu veux que j’aille te chercher un verre d’eau ?Harper et lui n’avaient jamais été particulièrement proches, ne se seraient même sans doute jamais adressé la parole s’il n’y avait eu cette connexion involontaire, surgie de nulle part, à l’adolescence. Iels s’étaient plus ou moins contenté·es de la subir jusqu’à ce que le vide laissé par Caleb les force à partager plus que quelques conversations télépathiques et sensations communes. Iels n’étaient pas devenu·es les meilleur·es ami·es du monde mais avaient appris à faire avec l’autre.
La dissolution du groupe d’ami·es de la jeune femme avait peut-être joué un rôle aussi, même si le jeune homme s’était bien gardé de le faire remarquer. La tentation de lui asséner une remarque sournoise lui avait pourtant souvent chatouillé la langue, mais il y avait des plaies que même le jeune O’Brien ne souhaitait pas rouvrir.
La jalousie et la solitude étaient des excuses limitées.
— Tu ne vas pas te débarrasser de moi, alors tu ferais mieux d’ouvrir cette porte. Je ne tiens pas à l’escalader.Il avait peu de fierté mais quand même, il n’avait pas envie de jouer les acrobates.
Manquerait plus que quelqu’un débarque à ce moment-là.