All I hear are the words I needed to say ► Lewis

Naissance de Lewis, Naissance d’Emerson ; les deux se suivent et les parents se font une joie de faire se rencontrer leurs enfants dès qu’ils le peuvent. Deux cousins qui arrivent après les frères d’Emerson, et qui font de cette grande famille leur propre cocon.

Les familles s’agrandissent, les liens s’étirent, s’enroulent autour d’autres personnes qu’ils attirent dans leur cercle. Mabel d’abord, promise à Emerson même si Lewis ne comprend pas bien ce que veulent dire les adultes au début. Les attentes deviennent claires et ça n’empêche pas les enfants de se rapprocher, de devenir amis. Forest, Zephyros et Harper, ça s’est fait un peu plus tard. Mais si peu, si peu que ça a toujours été comme s’ils avaient fait partie de leur vie dès le début.

Ils sont une évidence, tous les six. Lewis ne peut qu’aimer et aimer encore ces cinq idiots qui rythment sa vie et qui le traînent partout où ils vont. Il n’y a pas beaucoup à le forcer ; Lewis est curieux, enthousiaste, et s’il rechigne à faire des choses qui lui paraissent dangereuses dans son esprit bambin, il finit toujours par les suivre dans toutes leurs aventures.

Il se dit que c’est parce qu’il faut bien que quelqu’un de raisonnable soit là.
En vérité, il se sent simplement libre, avec eux.


L’enfance s’efface, tout le reste perdure. Ils sont tout autour de lui et il les aime plus que jamais. Ils grandissent, leurs intérêts divergent et se rapprochent dans le même temps.
Lewis a toujours été fasciné par la disposition d’Emerson. Sa capacité à soigner est tout ce qu’il aurait toujours voulu pouvoir faire ; aider, être là pour réparer les pots cassés quand tout ne se passe pas comme prévu. C’est sans doute pour ça que Lewis commence à passer de plus en plus de temps à lire des livres de médecine, à se renseigner sur toutes les manières de soigner un corps humain.
En tous cas, lorsqu’il n’est pas trop occupé avec la bande.
Ou lorsqu’il ne jette pas des regards curieux en direction de Harper.

Harper dont les cheveux accrochent le soleil et le regard du garçon dans le même temps. Dont les rires sont de plus en plus fréquents. Chaque fois qu’il en est à l’origine, Lewis a l’impression que c’est son âme qu’elle caresse.
Il ne lui faut pas bien longtemps pour comprendre que s’il se sent aussi drôle avec elle, c’est parce que les sentiments qui naissent entre eux sont un petit peu plus que de l’amitié.
Il n’arrive pourtant pas à comprendre pourquoi c’est lui qu’elle a choisi, elle aussi, le jour où il ose enfin en parler.
Ils sont si jeunes, encore si innocents. Pourtant, Lewis a déjà l’impression d’avoir trouvé l’âme sœur, celle dont ils parlent dans les livres et à la télé.

Le jour où il sent sa jambe lui être arrachée, il hurle de douleur et se recroqueville dans un coin. Pourtant, sa jambe va encore bien ; elle est encore là, encore fonctionnelle. Pourquoi lui fait-elle si mal ?
Il ne tarde pas à comprendre qu’il fait maintenant partie d’un cluster ; un cluster qu’il rejette de toutes ses forces. Il n’a pas la force pour ça, il doit déjà s’occuper de sa bande, et il n’a aucune envie que qui que ce soit puisse fouiller dans sa tête. Dans ses précieuses pensées qui n’appartiennent qu’à lui.
Parce que si quelqu’un regardait de trop près, ils verraient bien qu’il n’est pas aussi solide qu’il s’est promis de l’être.


Il aurait dû étudier plus.
Il devait rester leur pilier, parce qu’il est celui qui garde le plus la tête sur les épaules.

L’alcool a effacé tout ça.

Il n’avait pas assez travaillé, pas assez étudié.
L’accident est trop gros, trop effrayant. Le sang le terrifie. L’idée qu’ils aient fait ça, que tout soit de sa faute, qu’il n’ait pas rempli son rôle ; c’est trop.


Il n’arrive pas à réparer l’humain.
Il n’arrive pas à remplir sa part du contrat.
C’est Emerson qui doit tout réparer. Harper qui doit couvrir leurs arrières. Lewis qui doit baisser les yeux.

Ce soir-là, c’est le dernier soir qu’il a passé à Duprée.


Le portable jeté dans un sac, éteint.
L’esprit rempli de désespoir, éteint.
Le regard à peine assez déterminé pour continuer à avancer.
Eteint.

Il est à New-York, maintenant. Ou pas loin. Heureusement, la maison de la Lune est partout. Il est chez lui, même si chez lui ça n’existe plus. Il ne sait pas trop ce qu’il fait là, pourquoi il n’est pas parti plus loin. Peut-être parce qu’il n’a pas vraiment le choix, parce qu’il veut pouvoir revenir, un jour.
Pas maintenant.
Il a encore trop à apprendre.

Il se plonge dans des études de médecine qui lui donnent l’impression de pouvoir changer. Que lorsqu’il reviendra à Dupree, il sera capable de tout endurer. De réparer les conneries de la bande. De réparer ce qu’il n’a pas pu, cet été.


Il n’aurait peut-être jamais dû rallumer ce portable.
Ne pas savoir lui était trop insupportable.
Il était très bien, dans son déni, avec son nouveau portable, son nouveau numéro, sa nouvelle vie sans grande saveur.

L’avalanche de messages et d’appels manqués est le coup au cœur qu’il aurait dû recevoir des mois plus tôt. Qui l’aurait fait changer d’avis. La raison pour laquelle il a caché ce téléphone, sûrement.
Mais un Noël sans ses parents, sans sa famille, sans Harper, ce n’est pas un vrai Noël. Il l’a appris à la dure. Le passer avec des quasi-inconnus, des potes de fac, ça n’a rien de bien festif. L’alcool ne peut pas remplacer le trou dans sa poitrine.

Ça fait six fois qu’il réécrit son message. La première fois, il l’a écrit à sa mère. La deuxième, à Harper. La troisième, à Emerson. Tous les suivants, ils sont pour Harper, pour celle qui n’a jamais cessé de lui en envoyer.
Il ne trouve jamais la bonne formulation.
Jamais la bonne façon de s’excuser d’être une merde. De les avoir abandonnés.

Il jette le téléphone dans un tiroir, et retourne étudier. Il n’y a pas grand-chose de plus à faire.
Sinon attendre que le temps passe et qu’on l’oublie.



[happy new year]

[i love you]

Les larmes ne veulent plus s’arrêter alors qu'il regarde les messages d'Harper sur son téléphone. Il ne mérite pas ça ; il ne mérite pas qu’elle continue à espérer et à l’aimer. Il aimerait lui répondre, lui dire quelque chose. Quoi que ce soit. Mais comment faire, après six mois à faire le mort, à ne parler à personne de sa vie d’avant ? Il n’y a pas de mot qui puisse excuser son comportement, et il ne peut pas non plus revenir.
Pas encore.


Les messages de Harper vibrent dans sa poche alors qu’il se prépare à aller en cours. Il ne sait pas vraiment pourquoi il garde le téléphone sur lui, maintenant. Peut-être pour se punir de tout ce qu’il leur fait subir. Pour se rappeler que s’il fait tout ça, c’est pour eux, mais c’est surtout pour lui. Pour se donner l’impression qu’après ça, il pourra à nouveau les regarder en face. Comme si c’était possible.

Il regarde son téléphone et son doigt survole le bouton, à côté du nom d’Harper. Ce petit bouton qui l’appellerait, qui lui permettrait d’entendre sa voix. Il s’inquiète pour Emerson, il s’inquiète pour elle. Il s’inquiète pour tout.
Le téléphone retourne au fond de sa poche, et lui, il retourne en cours.


La première à lui fêter son anniversaire, c’est Harper.
La deuxième, c’est Fi’. Elle est là quand il se réveille. Il ne sait pas comment lui dire qu’il n’aurait pas dû, que cette dernière semaine, ça n’aurait jamais dû arriver.
Il tient encore quelques jours, avant de ne plus supporter, de devoir lui briser directement le cœur à elle, puisqu’il n’a jamais trouvé les mots pour Harper.


Les années ont défilé si lentement qu’il a pu en goûter chaque seconde. Pourtant, il ne se souvient de presque rien. Ses mois rythmés par les cours et les messages d’Harper ont été parfois peuplés d’embrassades, d’amitiés, d’amours éphémères.
D’amours réels, mais jamais assez solides pour supporter toute la haine que Lewis garde pour lui-même. Qui pourrait l’aimer assez pour supporter ce qu’il s’inflige, les quelques nuits à écouter les messages vocaux dans lesquels Harper pleure, lui livre son cœur encore et encore.


[if you ever do come back, please text me]

Il lit le message en coin, le cœur lourd alors qu’il prépare sa valise. Le timing d’Harper ne cessera jamais de le surprendre. Celui d’Emerson aussi, pour le coup. C’est bien lui qui lui a laissé un message pour le prévenir que le type de l’accident était de retour en ville, et ce quelques jours après que Lewis ait décidé de lui-même revenir.
Le hasard fait bien les choses ; pourtant, il ne se sent toujours pas prêt. Pas vraiment. Les t-shirts s’empilent, les chemises se plient, mais son esprit divague, se perd dans les méandres de pensées sournoises et incohérentes.

Il ne sait toujours pas ce qu’il fera, en arrivant en ville.
Est-ce qu’il devrait déjà envoyer un message à Harper ? Est-ce qu’il devrait appeler Emerson, pour le prévenir ? Ses parents, sinon ?
Il n’y a pas de bonne réponse, lorsqu’il s’agit de qui prévenir en premier. Alors comme il en a tant l’habitude, il choisit l’option de la lâcheté. Il range le téléphone dans sa poche, et il referme la valise.
Demain, il partira pour Dupree. Un diplôme en poche, une chance de devenir interne à l’hôpital de la ville. Et puis quoi ?
Est-ce qu’il trouvera mieux les mots lorsqu’il sera mis face à son ancienne famille ?
Est-ce qu’il recevra enfin les insultes qu’il mérite ?
Son cœur est lourd, mais il n’a plus d’autre choix. Il a assez fui. Assez appris. Maintenant, il maîtrise sa disposition.
Il est capable de se tenir sur ses deux jambes à nouveau.