unfurl your black wings and waitharper & rufus fin octobre 2017
Le nez levé vers les étoiles, Harper regarde les volutes de sa cigarette former des dessins dans l’air moite.
Il a plu toute la semaine, tapissant la forêt de boue et les rues de Dupree de cette atmosphère dégueulasse qui y règne lorsqu’il fait gris. Ça se ressent même dans le comportement des gens, même dans les vêtements pourtant propres que la Fae s’évertue à enfiler. L’automne est insidieuse, elle se glisse dans leurs prunelles et ne laisse rien lui échapper. Quelques semaines à peine, et déjà il fait nuit à dix-sept heures. Les passants pressés, en sortant du travail, rentrent la tête dans les épaules comme si un oiseau de passage risquait de leur faucher au vol. Les journées sont poisseuses ; les nuits, pleines de silences.
Rien de tout cela n’est comparable à l’absence morne de Lewis.
Impossible de rappeler ce qu’elle fout là. Une soirée, d’accord. A travers les brumes de l’alcool, elle croit se souvenir que c’est l’anniversaire de quelqu’un. Quelqu’un qu’elle connaît, peut-être. Difficile à dire. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle s’est enfilé de la vodka premier prix jusqu’à plus sentir le bout de ses doigts, puis qu’elle est sortie décuver en fumant sur une balançoire. Y avait un couple qui se murmurait des trucs sexuels en gloussant : elle leur a jetés des regards noirs jusqu’à ce qu’ils finissent par prendre la mouche et se barrer. Maintenant, elle a le jardin à elle seule.
Et elle se dit que rien n’a plus de sens sans eux.
Du bout de sa Doc Martens usée, la rousse joue avec la boue du jardin pour se balancer doucement. C’est un peu nul, mais c’est mieux que rien. De toute façon, elle a personne pour la pousser.
Dans une autre vie, une qui lui donne la sensation d’être finie depuis mille ans, elle aurait jamais été toute seule sur cette foutue balançoire. A peine elle se serait absentée deux secondes que l’air soupçonneux de Mabel serait venu la débusquer. Elle se serait posée à côté d’elle pour discuter de la vie, volant une taffe sur deux sur le joint roulé par Harper. En moins de cinq minutes, toute la bande aurait rappliqué : Zeph & Forrest auraient fait les cons, à tenter de savoir qui le premier pouvait grimper sur le haut de la structure métallique de la balançoire. Emerson aurait ri aux éclats, proposé de ramener des verres ou des manteaux à tout le monde. Et Lewis … Lewis l’aurait enlacée, certainement ; à chaque frisson qui l’agitait, il aurait posé un baiser tout en haut de son crâne tremblant. Il lui aurait dit qu’il l’aimait.
Là, à écouter le grincement du vieux jeu pour enfant rouillé pour tâcher de couvrir les basses d’une musique de merde en bruit de fond, Harper se demande si elle a déjà vraiment aimé les soirées ou si, ce qu’elle aimait, c’était eux. La réponse est vertigineuse, d’autant plus que, eux, c’est fini.
Alors peut-être bien qu’elle va devoir se contenter de ça, de rester toute seule dans un jardin boueux avec du gazon dégueulasse en essayant de pas vomir l’alcool qu’elle a ingurgité. Sa mère lui a dit que ‘ça lui ferait du bien de sortir’. C’est sûr que, aux yeux d’une daronne, ça fait toujours meilleur programme que de rester prostrée dans son lit à regarder pour la millième fois le wysh de Lewis sur son portable.
Rien ne la rendra assez ivre pour oublier qu’il est parti. Maintenant, elle est juste anesthésiée. Tellement que lorsque la porte fenêtre s’ouvre dans son chuintement caractéristique, il lui faut une poignée de secondes avant de tourner la tête.
Boucle d’oreille, cheveux bouclés. rufus.
« Salut, Ruf'. » qu’elle fait dans un demi-sourire.
Ça lui revient, maintenant : c’est lui qui l’avait invitée. Est-ce-que c’est son anniversaire ? La pensée la traverse soudainement, tandis qu’elle se rappelle nettement ne pas avoir apporté de cadeau. Creusant sa mémoire du bout des ongles, elle parvient à la conclusion que non, Rufus n’est pas scorpion. Elle s’en souviendrait.
Alors, puisque c’est peut-être la seule personne qui acceptera ce genre de demande dans cette soirée, elle se penche vers l’arrière, laissant son corps trouver un équilibre horizontal et ses cheveux effleurer le sol. Ainsi, elle regarde Rufus par en-dessous et lui tend un sourire tordu par le filtre de sa cigarette.
« Tu pourrais me pousser, stp ? »
codage par smanffson, adapté par valhdia