@Ellis Evans tw: personnage faisant un malaiseLes premiers symptômes étaient apparus alors qu’elle se trouvait au Little Delights Café. Sa tasse était encore à fumante, à moitié pleine, quand sa vue s’était troublée. Son regard avait glissé vers sa main prise de tremblements. Toute maitrise de son corps lui échappait et elle resta immobile, priant pour que la sensation passe, disparaisse aussi subitement qu’elle était apparue. Qu’elle la laisse
tranquille.
Le problème, c’était que ce n’était pas la première fois que Stella décelait ces réactions, raison pour laquelle elle se figea dès qu’elle les remarqua. Plusieurs fois, depuis son dernier voyage temporel, elle avait fait l’expérience de ces crises, elle avait presque oublié leur nature, tant la précédente remontait à loin — quelques mois après son débarquement dans le passé — et elle en avait conclut que son corps accusait le contrecoup de cette transition, qu’il s’adaptait mal au changement d’air du temps. Elle avait fini par s’y faire, pourtant, non ? Les épisodes s’étaient espacés, atténués, ils étaient devenus de l’histoire ancienne. Mais à présent, ils reprenaient du service, plus violents, plus angoissants, et Stella, en bonne Kahnwald qu’elle était, s’était évertuée à ignorer l’avertissement qu’ils pouvaient représenter. Peut-être que sa santé ne suivait plus, peut-être qu’elle n’avait jamais été faite pour basculer aussi loin dans le temps, qu’elle avait forcé ses limites. Elle n’aimait pas cette idée. Pourtant, à cet instant précis, elle n’avait d’autre choix que de subir les spasmes, l’impression de chuter dans un puits sans fond. C’était sans compter sur la panique que suscitait cette impuissance et elle n’eut plus qu’un désir : quitter le café, retourner chez Auster, s’effondrer dans le lit et ne plus en sortir jusqu’à ce qu’elle se sente assez solide pour marcher.
Stella enfila sa veste, glissa la lanière de son sac sur son épaule et se leva brusquement. Sa hanche heurta la table, faisant trembler sa tasse, mais elle n’en avait que faire de perturber ses voisins — elle s’en contrefichait déjà en temps normal, encore plus à ce moment précis — et elle quitta l’enseigne sans terminer son breuvage.
L’hôpital se trouvait à quelques rues de là, la logique aurait voulu qu’elle s’y rende mais elle prit la direction opposée, vers les hauteurs de Mayfield High, qui lui semblaient tout à coup si éloignées. Elle n’avait cependant aucune intention de dévier de sa trajectoire et elle s’efforça de marcher le plus normalement possible, malgré le sol qui tanguait, les murs qui penchaient, ses pas qui se faisaient incertains, chancelants. Pourquoi l’air ne lui faisait-il pas du bien ? Pourquoi le malaise persistait-il ? Elle posa la main contre un mur, feignit de regarder un instant dans une vitrine, inspira longuement et se redressa. Pourquoi était-elle donc incapable d’appeler à l’aide ? D’avouer qu’elle ne se sentait pas bien du tout ? Quelqu’un aurait pu aller chercher Auster, le bâtiment qui abritait la gazette se trouvait non loin du café. À la place, elle continuait à avancer mais chaque pas lui coûtait plus que le précédent et elle commençait à réaliser qu’il y avait peu de chances qu’elle arrive jusqu’à sa destination sans sombrer.
Elle croisa des silhouettes floues inconscientes de son état. Peut-être jouait-elle mieux la comédie que ce qu’elle s’imaginait, songea-t-elle ironiquement, alors que sa tension faiblissait et qu’elle devenait aussi blême que le fantôme qu’elle était censée être. Ses paupières papillonnèrent et elle porta la main à son coeur —
is it still beating ?! Il battait bel et bien, comme un tambour ténébreux sonnant le glas.
It never worked properly, that’s probably why you never loved anyone, se dit-elle, le venin de l’amertume se répandant dans ses veines, alors qu’un écho lui parvenait —
Hey, hey!Too late. La pensée lui échappa au moment où elle sentait le sol se dérober sous ses pieds. La perte de connaissance ne dura qu’une demi-seconde mais ce fut suffisant pour lui faire perdre toute notion du temps et de l’espace et s’il n’y avait eu cette main qui la soutenait, ce parfum masculin qui l’auréolait, Stella aurait parié avoir quitté Dupree pour de bon.
— Vous m’entendez ?Stella posa la main sur celle qui la maintenait et elle battit des paupières, reprenant conscience, l’angoisse refluant lentement. Son coeur continuait à battre de façon étrange mais elle se sentit moins fébrile et elle releva les yeux vers l’inconnu venu à son secours. Sa vue mit quelques secondes à s’adapter à la proximité de leurs visages et elle fronça les sourcils comme si ça allait l’aider à mieux le discerner.
— Je vous entends, répondit-elle, s’accrochant à son bras pour se remettre sur ses pieds et se relever.
C’est passé.Ce n’était pas tout à fait un mensonge : la crise s’éloignait, elle se sentait revivre, la panique envolée, laissant place au soulagement. Elle tapota le bras de l’inconnu, l’air de dire
alright, buddy, I’m feeling better, you can let go of me now.
— Je n’aurais peut-être pas dû sauter le petit-déjeuner ce matin, ajouta-t-elle pour détendre l’atmosphère, rassurer son sauveur (ou elle-même).
Elle regarda à droite et à gauche, pour se situer et évaluer la distance parcourue. Elle pensait avoir fait des kilomètres mais elle avait juste migré de Weymouth Town à East Hawk Street. Son regard rencontra la devanture de l’herboristerie des Jessup et elle se dit qu’à défaut d’avoir un remède, les Faes de l’Aurore auraient peut-être quelque chose qui puisse la soulager.
— C’est bon, vous pouvez retourner à vos occupations, dit-elle en se tournant vers l’homme.
Merci, ajouta-t-elle, sur un ton qui ne laissait pas transparaitre la moindre gratitude mais plutôt comme si elle avait l’impression qu’il attendait cette politesse pour la laisser.
C’était la moindre des choses, pourtant.
Une autre que Stella l’aurait su.
Une autre que Stella aurait gratifié son sauveur d’un sourire.
Stella se contenta d’un regard pénétrant, teinté de cette méfiance que le moindre geste désintéressé lui inspirait.
Parce qu’elle était persuadée que cela n’existait pas.
Parce qu’elle n’en avait jamais eu à l’égard de qui que ce soit.
Simple as that.