Lorsque Lydia retrouvait le quartier où elle avait grandi, un brin de nostalgie s’invitait dans son coeur et il lui arrivait de regretter ne plus être une enfant dont le seul tracas aurait été de faire ses devoirs et mettre la table. Oh, elle se refusait à se plaindre, appréciait également son indépendance maintenant qu’elle vivait seule avec Kaya, mais il y avait toujours un moment où la lassitude lui alourdissait les épaules — quand elle ouvrait une enveloppe pour découvrir une nouvelle facture, quand elle se creusait la tête pour varier ses menus hebdomadaires ou quand elle se laissait tomber dans le canapé et constatait qu’une autre journée avait filé et qu’elle n’avait pas eu un moment à elle.
You had a choice, you made it. Et ce choix, il se trouvait à présent chez ses grands-parents pour l’après-midi, et elle, elle avait quelques heures pour souffler, passer au marché artisanal, se glisser dans la librairie, son endroit favori, goûter aux douceurs diverses, flâner entre les échoppes.
Elle espérait juste ne pas tomber nez-à-nez avec Atticus mais même si cela arrivait, au moins serait-elle seule.
Elle n’avait toujours pas trouvé le moyen d’aborder le sujet Kaya avec lui — il aurait fallu qu’elle ose lui parler, déjà. Or tant qu’il ignorait l’existence de sa fille, la jeune Pullman jouait la carte de la lâcheté et se gardait bien de provoquer la moindre rencontre. Pire, lorsqu’elle l’apercevait au loin, elle s’arrangeait pour faire un détour et ne pas le croiser. Comment lui avouerait-elle qu’elle lui avait caché sa paternité ? Et que redoutait-elle le plus : qu’il se dédouane de cette responsabilité ou qu’au contraire il cherche à revenir dans sa vie ? Ou encore qu’il ne tienne pas à la côtoyer mais désire élever sa fille ? L’absence d’Atticus à Dupree avait permis à la jeune fille-mère de reléguer ces réflexions dans un coin sombre de son esprit et puis, après tout, elle avait eu assez sur les bras, non ? Elle avait eu trop de choses à apprendre, à gérer pour s’encombrer de
What ifs ? qui n’auraient fait que lui broyer toujours plus le coeur. Non, vraiment, elle avait du mieux qu’elle avait pu, personne ne pouvait lui retirer ça, songea-t-elle alors qu’elle approchait du marché, et si quelqu’un n’avait pas manqué de l’arroser du Pumpkin Spice Latte, sans doute ses pensées auraient-elles continué dans cette direction, mais la presque collision fut la distraction idéale, surtout lorsqu’elle reconnut l’accent du maladroit :
— Quel accueil, Monsieur Murdoc ! Tu aurais été obligé de m’en offrir un pour la peine, répliqua-t-elle après avoir fait un pas de côté, évitant la catastrophe de justesse.
Elle lui tapota l’épaule au moment où il lui fit la bise, toujours surprise par la facilité avec laquelle iels étaient devenu·es ami·es. Peut-être était-ce dû à la nature même du jeune homme, ou le fait qu’il ne soit pas originaire de Dupree, mais il était parvenu à détendre une demoiselle qui peinait à entretenir des amitiés avec des hommes — en dehors de Cash, son meilleur ami, évidemment.
— Ça va, je suis venue faire un tour au marché, j’adore m’y promener.@Logan Murdoc lui indiqua le stand où il était censé se trouver pour vendre des citrouilles, la jeune femme y jeta un coup d’oeil puis reporta son attention vers son interlocuteur :
— Des citrouilles, c’est parfait ! J’en ai justement besoin. Kaya a hâte de pouvoir sculpter son monstre. Et je voudrais tenter une tarte pour le concours du Little Delights Café. Est-ce que tu peux m’aider pour les transporter jusqu’à ma voiture ? Elle est garée près de l’entrée du parc. Comme ça, tu fais d’une pierre deux coups : tu me tiens compagnie et tu fais ton travail.Son sourire laissait entendre qu’elle le taquinait et elle sortit son portefeuille de son sac à main.
— Et peut-être qu’ensuite c’est moi qui te tiendrai compagnie. En plus tu es situé juste à côté de l’échoppe avec les bougies, j’en achète chaque année. Est-ce que tu as vu celle avec les jolies pierres colorées, aussi ? Il parait qu’elles viennent du fond du lac mais je n’en ai jamais ramassé moi-même. Ce n’était pas faute d’avoir essayé, pourtant.Au souvenir de ces journées estivales où elle s’était évertuée à plonger le plus profondément possible, la demoiselle émit un rire léger.
C’était avant l’adolescence, cependant.
Avant qu’elle ne tombe amoureuse pour la première — et seule — fois de sa vie.
Avant que son monde ne semble plus tourner qu’autour d’Atticus Severide.
Oui, vraiment, il arrivait souvent à Lydia de regretter l’innocence de son enfance, mais elle avait la sensation que cet après-midi, la présence de Logan allait tenir à distance cette nostalgie rampante.
Life goes on, Pullman. He moved on.
Why won’t you ?